Hypnose, posture et imposture

La posture du praticien. Voilà un mot qu’on emploie souvent, mais qu’on définit rarement. On en parle comme d’un allant de soi, un implicite de la pratique, une évidence qui viendrait avec le temps et l’expérience. Et pourtant, quand quelque chose dérape — un malaise dans la relation, une incompréhension, une phrase qui tombe à côté — on mesure à quel point cette « évidence » est fragile.

Pendant longtemps, la posture s’est transmise par imprégnation, par modélisation. On observait ses formateurs, on imitait leurs gestes, leur ton, leur façon d’occuper l’espace. On finissait par « faire pareil », convaincu qu’une certaine attitude faisait le thérapeute. Mais la posture, ce n’est pas un costume. C’est un équilibre mouvant entre éthique, cadre, langage, autorité, écoute et présence. C’est une manière d’être au monde, et avec l’autre, dans la séance.

Posture et imposture

Le mot « posture » est vague et on peu lui donner des sens différents. Où se situe la différence en tre « posture » et « imposture ». Beaucoup d’hypnothérapeutes ressentent un jour cette tension : est-ce que je joue un rôle ? Est-ce que je fais semblant ? L’imposture, c’est le rôle qui cache ; la posture, c’est le rôle qui révèle. La différence est fine mais si l’imposture est une tromperie, la posture présuppose l’authenticité dans le rôle

Prendre une posture, c’est assumer un rôle professionnel, visible et clair. Ce n’est pas se travestir, c’est se tenir. Ce que la personne perçoit doit être habitable, soutenable. Si je montre une assurance que je n’ai pas, ou une neutralité qui n’est pas la mienne, je m’éloigne de cette congruence qui fait la qualité du lien. La question à se poser est simple : ce que je montre, est-ce que je peux le porter sans forcer ? Et ce que je dis, la personne le comprend-elle comme je le pense ?

Être congruent ne veut pas dire tout dire. Cela veut dire aligner ce que je montre et ce que je suis capable de soutenir, et oser rectifier si je sens que quelque chose se déplace. La posture juste n’est pas une image figée. C’est un mouvement.

Le socle adulte–adulte

Pour comprendre ce mouvement, l’analyse transactionnelle offre un langage simple. Elle distingue trois modes d’être : le Parent, l’Enfant et l’Adulte. Ces mots ne désignent pas des âges, mais des postures relationnelles et réactionnelles. Dans une séance d’hypnose, on passe de l’un à l’autre sans même s’en apercevoir : sauveur protecteur, parent normatif, enfant soumis ou défiant.

Viser une posture adulte–adulte, c’est chercher une relation claire, équilibrée, responsable. Ni autoritaire, ni complaisante. Cela demande d’observer, parfois en direct, nos propres glissements. Parfois on veut trop aider, parfois on se met à expliquer, à justifier, à convaincre. Il suffit alors d’une respiration pour revenir à ce centre : « Je ne décide pas pour vous. Dites-moi ce qui vous convient, maintenant. »

Le consentement, ou l’art de l’accord vivant

Le cœur de la posture, c’est le consentement. Non pas une signature donnée une fois pour toutes au moment de franchir la porte, mais un accord vivant, réversible, qui se réaffirme tout au long de la séance.

Le consentement n’est jamais implicite. Il se construit, se vérifie, se renouvelle. Dire à la personne que rien n’est imposé, que ce qu’elle autorise peut être retiré à tout moment, ce n’est pas un détail : c’est une pierre angulaire. Cela pose la séance comme un espace de liberté partagée.

On sous-estime souvent la force des micro-engagements — ces petites séries de « oui » que l’on obtient par réflexe, ces yes-sets qui entraînent l’autre presque malgré lui. Ce n’est pas tant la technique qui est en cause que l’intention. Une induction peut devenir manipulation quand elle supprime la possibilité du refus. Et certaines suggestions, notamment celles qui privent temporairement du contrôle du corps — catalepsies, paralysies, amnésies — peuvent réveiller chez certaines personnes des traces de vécu traumatique.

Poser la possibilité du « non » ne diminue pas l’efficacité de la séance. Au contraire, cela renforce la confiance. Un cadre clair favorise la relation thérapeutique et sécurise l’exprience hypnotique.

L’autorité orientée

Dans les débuts de l’hypnose contemporaine, on a beaucoup opposé les écoles dites « directes » et « indirectes », les tenants de la position « haute » et ceux de la position « basse ». On a longtemps voulu choisir entre la directive assumée et la suggestion feutrée. Mais la réalité du travail, c’est l’alternance.

Une séance, c’est une oscillation : suivre, puis précéder. Écouter, puis proposer. S’effacer pour laisser place, puis reprendre la main pour guider un passage délicat. L’autorité du praticien n’est pas à bannir, mais à situer. Elle ne s’exerce pas contre la personne, mais pour elle. On ne commande pas : on oriente.

Le praticien qui n’ose plus diriger perd son cadre. Celui qui dirige sans écouter perd la relation. Tout l’art est dans la respiration entre les deux.

Le langage du corps

La posture se lit aussi dans le corps : la manière d’être assis, de respirer, de regarder. Mais le non-verbal n’est pas une science exacte. Ce que nous croyons « lire » chez l’autre n’est souvent qu’une interprétation de notre culture, de notre histoire, de nos filtres.

Mieux vaut poser l’intention plutôt que décoder à tout prix. Une voix calme, un regard stable, un silence qui laisse de la place. Rien d’affecté : juste la présence. L’attitude physique traduit ce que l’on pense vraiment de la personne en face. Et l’inverse est vrai : redresser le corps, poser la voix, c’est aussi s’aider soi-même à habiter la posture qu’on souhaite tenir.

Le choix véritable

Le mot « choix » revient souvent en hypnose, parfois galvaudé. On propose à la personne de choisir entre deux options… qui n’en sont pas vraiment : « Vous préférez entrer en hypnose rapidement ou instantanément ? »
Ces choix-là ne laissent aucune liberté. Ils produisent de la docilité, pas de l’alliance.

Le choix véritable suppose un espace où plusieurs directions sont possibles. On peut explorer le présent, le futur, ou le passé — selon ce qui est accessible. On peut demander simplement : « Comment c’est pour vous cette semaine ? » ou « Si vous pensez à demain, spontanément, comment vous l’imaginez ? »
Et si la réponse est sombre, on l’accueille. Dire « demain ça va être l’enfer » est parfois le premier geste de sincérité d’une personne depuis des mois. Le rôle du praticien n’est pas de corriger, mais d’entendre. À partir de là, seulement, on peut demander : « Et si c’était un peu différent, ce serait comment ? »

L’hypnose ne sert pas à rendre les gens positifs, mais à leur redonner un espace de liberté dans la manière d’habiter leurs propres représentations. Schématiquement, on pourrait dire qu’il s’agit d’élargir l’attention en respectant l’existant. Cette émotion, cette souffrance, ça existe, c’est réel et qu’est-ce qu’il y a autour? Qu’est-ce qu’il y a d’autre?

Sortir du positivisme simpliste

Les formations en hypnose ont souvent hérité d’un réflexe de la PNL : recadrer le négatif. « Ne dites pas ce que vous ne voulez plus, dites ce que vous voulez. » C’est une injonction pleine de bonnes intentions, mais qui tombe souvent à plat. Une personne qui souffre ne peut pas toujours formuler ce qu’elle veut. Elle peut dire ce qu’elle ne veut plus — et c’est déjà beaucoup.

Accueillir cette forme négative, c’est reconnaître la réalité du vécu. Et c’est précisément ce qui ouvre la possibilité d’un changement. En imposant la positivité, on fabrique de la culpabilité. En accueillant le négatif, on restaure de la dignité.

Distance, empathie et émotions du praticien

On nous a longtemps appris à rester impassibles. « Ne vous laissez pas toucher. » Cette consigne, utile à certains moments, devient stérile quand elle se transforme en mur.
L’émotion du praticien n’est pas un échec professionnel. Elle peut être une forme d’empathie active, à condition qu’elle reste brève, habitée, suivie d’un recentrage. L’émotion devient problème seulement quand elle occupe la scène.

Il m’est arrivé d’avoir la gorge serrée, face à une histoire impossible. D’autrefois, j’aurais jugé ce trouble comme une faiblesse. Aujourd’hui, je sais qu’il peut être un signal de présence. Ce qui compte, c’est de ne pas s’y perdre : respirer, marquer un silence, puis revenir à la personne, à ce qu’elle vit, à ce dont elle a besoin.

Adapter sans se travestir

La posture se module aussi selon les publics. Avec les adolescents, il vaut mieux les « adultiser » que les infantiliser. Leur demander la permission de poser une question, reconnaître leur lucidité souvent brutale, c’est déjà leur accorder du respect.
Avec les adultes, la posture change subtilement selon le genre, la culture, la religion, sans jamais céder à la caricature. On observe nos propres biais. On garde la clarté du cadre : dire ce qu’on fait, pourquoi on le fait, comment on le fera.

Et quand on reçoit une personne fragilisée, on redouble d’attention. On peut rrenonce aux phénomènes spectaculaires. On garde toujours une issue de secours, un geste convenu, une phrase pour revenir au présent. L’essentiel, ce n’est pas de « faire de l’hypnose », mais d’offrir un espace où la personne reste sujet, pas objet.

Le temps de la séance

Avant la séance, la posture se construit dans la manière d’accueillir. Expliquer le cadre, préciser que le consentement est réversible, clarifier la demande sans la reformuler à la place de la personne. Ce premier échange, souvent informel, installe déjà la confiance.

Pendant la séance, on avance à deux. On alterne entre suivre et précéder, on reste attentif au rythme de la personne, à ses signaux, à ce qui s’ouvre ou se ferme. Rien ne presse. L’hypnose n’a pas d’urgence.

Après la séance, la posture continue : dans la manière de clore, d’ancrer, de dire « vous pouvez revenir sur ce que nous avons fait, à votre rythme ». C’est dans cette clôture que se mesure souvent la solidité du cadre.

Redécouvrir la posture vivante

La posture du praticien n’est pas une forme à acquérir, ni un masque à conserver. C’est un réglage permanent entre la clarté du cadre et la souplesse du lien, entre la responsabilité que l’on assume et la liberté que l’on rend à l’autre. Elle ne s’apprend pas dans les manuels, pas tout à fait non plus dans les formations : elle s’éprouve, elle se polit dans l’expérience, elle se fissure parfois.
C’est un mouvement continu, une oscillation subtile entre autorité et abandon, maîtrise et ouverture, savoir et doute.
On croit souvent qu’une bonne posture, c’est une posture stable. En réalité, elle est vivante, comme une flamme : si on la fige, elle s’éteint.

Chaque séance est un exercice d’ajustement. Il faut parfois oser poser le cadre avec fermeté, et d’autres fois, oser le desserrer. Parfois, c’est la parole qui soutient, parfois c’est le silence. Parfois, on s’efface pour laisser la personne trouver son propre souffle ; parfois, on parle juste assez pour qu’elle ose s’y appuyer.
Et dans cette danse fragile, le praticien découvre que la véritable posture ne réside pas dans la technique, ni même dans la confiance, mais dans une forme de présence lucide : celle d’un être humain conscient de ce qu’il représente pour l’autre, et attentif à ne jamais en abuser.

Être en posture, c’est accepter de ne pas tout savoir. C’est savoir s’avancer avec humilité dans le champ de l’autre, sans le coloniser. C’est reconnaître la puissance de ce qui se joue, tout en gardant le sens du provisoire. La posture, c’est peut-être cette capacité à rester au bord : ni trop loin, ni trop près. Suffisamment solide pour inspirer confiance, suffisamment humain pour ne pas écraser.

Et si l’on devait résumer cette recherche en une phrase, ce serait peut-être celle-ci :
tenir la place, sans prendre toute la place.

La posture juste n’est pas une figure d’autorité, ni une neutralité glacée. C’est une manière d’être présent au monde et à l’autre, avec tact. Elle s’affine au fil des années, s’allège des certitudes, s’enrichit des maladresses, s’adoucit des remises en question.
Elle se révèle dans le ton d’une voix, dans une main qui attend avant de se tendre, dans un regard qui dit : je vous vois, je ne vous juge pas, je vous accompagne.

Alors oui, la posture n’est jamais acquise. Elle se redécouvre, séance après séance, dans l’écoute, dans le doute, dans la sincérité. C’est un art patient et discret, celui de rester vivant sans se perdre, d’accompagner sans diriger, de croire sans imposer.