Il y a dans la pratique de l’hypnose avec les enfants quelque chose d’à la fois fascinant et intimidant.
Fascinant, parce qu’on entre dans un univers où l’imaginaire, le symbolique et la spontanéité prennent toute leur place.
Intimidant, parce qu’il s’agit d’un terrain mouvant : celui d’une conscience en construction, d’un être en devenir, et d’une relation triangulaire où le parent et le thérapeute doivent trouver leur juste position.
Les débuts, ou comment apprendre à ne pas savoir
Quand j’ai commencé à pratiquer, je refusais systématiquement les demandes concernant les enfants.
J’avais suivi, comme beaucoup, un module “hypnose pour enfants” au sein de ma formation, mais j’en étais ressorti avec plus de questions que de réponses.
On y retrouvait les lieux communs habituels :
“Les enfants sont toujours en hypnose.”
“Il suffit de jouer avec eux.”
“Leur inconscient est un enfant de cinq ans.”
Des formules séduisantes, mais vides d’appui concret.
Je n’avais pas de protocole, pas de repères, et surtout pas de légitimité ressentie.
Alors j’attendais, jusqu’à ce qu’un jour, la pratique me rattrape.
Une mère m’appelle : son fils, huit ans, souffre d’une phobie panique du dentiste.
Les crises commencent dans la voiture, avant même d’arriver au cabinet.
Impossible de le soigner.
Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, mais j’accepte.
Cette première séance fut un tournant.
Rien de spectaculaire, simplement un échange, un dessin, et quelques moments suspendus.
En parlant, l’enfant révéla sa peur : les instruments du dentiste lui évoquaient des engins de torture vus dans des bandes dessinées.
Avec sa mère, ils décidèrent d’aller demander au praticien d’expliquer à quoi servait chaque outil.
Cette seule démarche avait déjà désamorcé une grande part du problème.
La suite, une séance d’hypnose simple, directe, naturelle — et la peur disparut.
Depuis, je l’ai revu, devenu adolescent : d’autres préoccupations, d’autres projets.
Mais cette expérience avait posé les bases d’une conviction.
Il n’y a pas “d’hypnose pour enfants”
Il y a simplement des enfants qu’on accompagne avec les outils de l’hypnose.
Techniquement, les phénomènes sont les mêmes : inductions, approfondissements, réponses idéomotrices…
Ce qui change, c’est le contexte, la posture, le langage.
Et surtout : la présence des parents.
Certains enfants plongent très vite, d’autres résistent, contrôlent, testent.
Rien d’étonnant : ce sont déjà de petites personnes, avec leur histoire, leurs peurs, leur façon de garder la maîtrise.
Ce qu’on appelle “jeu” dans l’hypnose pour enfants, ce n’est pas une distraction.
C’est une forme de communication symbolique, un terrain neutre où l’enfant peut expérimenter sans se sentir observé.
Le dessin, le masque à décorer, le Lego qu’il manipule pendant que le parent parle…
Tout cela participe du travail.
Le dessin notamment devient une anamnèse projective : il révèle les représentations, les relations, parfois les émotions contenues.
Et il offre un support pour la suite : les symboles du dessin peuvent être réutilisés comme ancrages pendant la phase hypnotique.
Le triangle dynamique : enfant, parent, thérapeute
Travailler avec un enfant, c’est toujours travailler avec un système.
Un triangle mouvant où circulent les émotions, les attentes et parfois les non-dits.
Le parent arrive souvent épuisé, inquiet, parfois coupable.
L’enfant, lui, ne demande rien — ou ne sait pas ce qu’on attend de lui.
Et le thérapeute se trouve au centre, observant ces échanges où se glissent, mine de rien, de puissantes suggestions.
Les parents ont tendance à parler de leur enfant en sa présence, comme s’il n’était pas là.
Parfois avec tendresse, parfois avec découragement.
Notre rôle n’est pas de les corriger, ni de donner de leçons d’éducation.
Mais simplement d’écouter.
Car dans cette écoute, il se passe quelque chose : les mots se posent, les tensions s’apaisent, la relation se remet en mouvement.
Souvent, j’invite l’enfant à dessiner pendant que le parent parle.
C’est un espace de respiration.
L’enfant comprend qu’on ne va pas le harceler de questions, qu’il peut simplement être là.
Et pendant qu’il trace ses formes, il écoute — toujours.
Plus tard, je lui demande : “Tu es d’accord avec ce que ta maman vient de dire ?”
Ce moment-là, souvent, réveille un petit sursaut de conscience dans le système familial.
L’enfant réalise qu’il a voix au chapitre.
Le parent réalise que l’enfant entend tout.
Et le thérapeute, lui, devient ce point d’équilibre du triangle : ni juge, ni arbitre, mais présence stable.
Faire de l’hypnose, vraiment
À un moment, vient le temps de l’induction.
Parce que, malgré tout, c’est notre cœur de métier : mettre en mouvement un autre état de conscience.
L’hypnose avec les enfants peut être douce et tranquille : les paupières collées, le rêve qui commence, la voix qui accompagne.
Ou plus active, ludique : les mains magnétiques, les doigts collés, le pendule qui bouge tout seul.
Peu importe la forme, tant qu’elle reste cohérente avec l’enfant, sa curiosité, son énergie.
Le pendule, par exemple, fonctionne à merveille.
Objet inhabituel, fascinant, qui rassure aussi le parent : ça “fait hypnotiseur”.
Je dis souvent à l’enfant :
“Tu tiens le pendule, et tout ce que tu ressens, tout ce qui t’inquiète, tout ce que tu veux laisser passer, ça peut s’écouler par ce mouvement.”
C’est simple, concret, et souvent très efficace.
Mais ce n’est pas le pendule qui agit : c’est la confiance, le cadre, la présence.
Les phénomènes idéomoteurs sont un terrain de jeu formidable pour les enfants : les mains qui s’écartent ou se rapprochent, les inclinaisons du corps, les sensations de lourdeur ou de légèreté.
Autant d’expériences où l’enfant devient acteur, et où le parent, témoin émerveillé, découvre une autre facette de son fils ou de sa fille.
La parole juste
L’un des apprentissages les plus précieux dans ce travail, c’est la façon de s’adresser à l’enfant.
Parler comme à un adulte n’est pas une provocation : c’est une marque de respect.
Les enfants perçoivent tout : la condescendance, la peur, la gêne.
En parlant à leur intelligence, on fait émerger en eux la part mature, la part déjà prête à comprendre et à agir.
Certains, à onze ou douze ans, changent complètement de posture quand on les vouvoie — comme si, pour la première fois, on leur reconnaissait une autorité intérieure.
C’est aussi une manière de leur transmettre une forme d’autonomie :
“Tu as déjà en toi ce qu’il faut pour te sentir mieux.”
Le langage de l’hypnose devient alors un langage de reconnaissance.
L’attention comme remède
Là où bien des prises en charge échouent, ce n’est pas faute de compétence, mais faute de temps et d’attention.
Les enfants sont souvent pris dans des dispositifs pensés pour les adultes : protocoles rigides, entretiens chronométrés, cadre impersonnel.
Ce que l’hypnose apporte, avant tout, c’est une qualité de présence.
Une écoute qui ne cherche pas à expliquer, mais à accueillir.
Une manière de dire : “Je te vois, je t’entends, tu comptes.”
Et cela, souvent, suffit à remettre du mouvement dans ce qui semblait figé.
Trouver la juste distance
L’hypnose avec les enfants n’exige pas de devenir “spécialiste enfant”.
Elle demande plutôt de savoir se situer.
De comprendre que nous ne remplaçons personne — ni les parents, ni les psychologues, ni les enseignants.
Nous faisons partie du triangle dynamique : un point d’équilibre au service de la relation.
Notre rôle, c’est de permettre à l’enfant de s’exprimer autrement,
au parent de respirer un peu,
et au système de retrouver sa souplesse.
En conclusion
Travailler avec les enfants, c’est accepter d’être surpris, dérouté, parfois même bousculé.
C’est accepter de ne pas tout comprendre, mais de rester présent.
L’hypnose, ici, n’est pas un art du contrôle, mais un art de la justesse.
Justesse du ton, de la distance, du regard.
Et dans ce juste espace, quelque chose circule : confiance, apaisement, curiosité.
Ce n’est pas une hypnose “pour enfants”.
C’est simplement l’hypnose, vécue ensemble —
dans ce triangle vivant où chacun, peu à peu, retrouve sa place.